Pourquoi sommes-nous si méchants ?

 

À la moitié de No et moi, de Delphine de Vigan, on peut espérer que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Encore que, tous ceux qui ont lu Candide savent que cette phrase peut recouvrir des réalités bien sombres.

À l’inverse des témoignages et biographies dont on connaît déjà la fin, la fiction laisse l’auteur libre du contenu de son texte. Se pose alors la question : pourquoi tant d’acharnement à faire souffrir nos protagonistes ?

Pour le réalisme

La première réponse qui vient à l’esprit, c’est que s’il n’y a pas de problème, il n’y a pas d’histoire. Certes, mais quel mal y a-t-il à se contenter d’un tout petit problème que l’on réussit à résoudre, et qui fait que tous les personnages sont heureux à la fin ?

Dans la littérature jeunesse, cela peut se concevoir. Pour une romance également, même si c’est moins probable. En revanche, pour toute la littérature qui se veut le reflet d’une réalité, c’est impossible, parce qu’on ne vit pas dans le monde des bisounours.

No et moi, donc, raconte l’histoire d’une jeune lycéenne qui tente de sortir de l’ornière une jeune femme SDF. C’est très noble et le lecteur voudrait qu’elle y arrive, ne serait-ce que pour la beauté du geste. Cependant, comme il ne s’agit vraiment pas d’un roman à l’eau de rose et qu’un humain ne se « répare » pas facilement, rien ne sera simple.

Voilà précisément l’un des moments où l’auteur doit faire un choix stratégique. Faut-il sauver coûte que coûte ce vilain petit canard ou accepter, comme dans la vie réelle, que tout le monde ne peut pas être sauvé ?

Pour le bien du texte

N’est-ce pas là un paradoxe de l’écriture ? Le contenu de nos textes nous force à choisir parmi plusieurs chemins. Si l’on veut faire en sorte que le lecteur se sente réconforté à la fin du livre, on peut tendre vers une conclusion heureuse. Le risque est de se retrouver avec une impression finale mièvre, dommageable pour le reste du texte. Si, en revanche, l’auteur veut créer une atmosphère aussi réaliste que possible, alors au diable les larmes que pourra verser le lecteur, arrivera ce qui devra.

Ce peut également être un déchirement pour l’auteur. Faire naître un personnage, lui créer une vie et l’accompagner dans son existence pour, au final, lui planter un couteau dans le dos et le jeter dans le fossé ? C’est cruel. Cruel, mais nécessaire.

Si la première rédaction des passages où l’auteur malmène l’un de ses protagonistes est difficile, il faut profiter des relectures et corrections pour prendre du recul et réfléchir à l’apport de l’évènement à l’ensemble.

La cohérence et l’effet du texte fini sont en fin de compte les seuls critères pertinents. Libre à l’auteur de s’écrire une version alternative plus douce qui lui fera plaisir, parce qu’après tout, l’auteur est son premier lecteur.

Références :

No et moi, Delphine de Vigan, J.-C. Lattès, 2007.

Candide, Voltaire, Gabriel Cramer, 1759.

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