Écrire hors des normes

Bien écrire, c’est d’abord écrire bien, en appliquant les règles que nous avons apprises depuis l’enfance, dans une langue très codifiée distincte de la langue parlée. L’application des règles de la langue écrite rapproche cette dernière, dans les grandes lignes, d’un langage plutôt élitiste et citadin. Tout ce qui sort de cette norme apparaît alors comme « provincial » ou moins élevé socialement. Cela revient-il, dès lors, à exclure l’oralité et la diversité d’un texte écrit ?

Les registres

Les écrivains n’ont, heureusement, pas attendu le xxie siècle pour se poser cette question. L’une des réponses apportées consiste à recourir aux différents registres de langue, à savoir familier, courant, soutenu…

Si la langue écrite tend à un niveau plus élevé que la langue parlée, il est cependant indispensable, notamment dans les dialogues, de venir corroborer par le recours aux registres les faits créés dans la mise en place d’une situation.

Ainsi, une scène de harcèlement de rue perd en crédibilité si l’apostrophe ressemble à : « Très chère, votre chute de rein me met en joie ». L’inconfort normalement ressenti par la destinataire disparaît au profit de l’incompréhension du lecteur.

Les régionalismes

Parce que les provinciaux aussi ont le droit d’apparaître dans des textes écrits, l’auteur peut jouer sur le vocabulaire pour situer géographiquement ses personnages. Un sac plastique peut ainsi devenir une poche ou un sachet sans que la face du monde s’en trouve changée. Prenez garde tout de même à utiliser des mots dont le sens peut être déduit facilement grâce au contexte.

Le marquage social

Si on catalogue les personnages en littérature, on s’aperçoit assez rapidement que les mondes agricole, ouvrier et les « classes sociales défavorisées » sont le plus souvent absents. Pourquoi ? Parce que pour vivre autre chose qu’une routine trajets-boulot-argh je suis fauché alors qu’on est le 15 du mois, il faut des moyens financiers.

Cela signifie-t-il que ces personnes ne font pas de bons candidats pour des écrits intéressants ? Non, puisque certains auteurs les intègrent à leur œuvre, à commencer par Balzac.

Si le corps du texte n’a que peu de raisons de ne pas suivre les règles de grammaire et d’orthographe classiques, qu’en est-il des dialogues ?

Qui n’a pas dans sa famille un grand-oncle qui a quitté l’école après son certificat d’études, pour ensuite travailler sans relâche et sans approfondissement de son bagage culturel ? Dans le cadre d’un récit familial, faire parler ce grand-oncle avec un vocabulaire et, pourquoi pas, une diction identiques au petit dernier de la famille qui vient de sortir de Sciences Po serait incongru.

Dans Trois sœurcières, sixième volume des Annales du Disque-Monde de Terry Pratchett, Patrick Couton a pris le parti, lors de la traduction, de remplacer certaines voyelles par des apostrophes. Ce procédé permet à peu de frais de signaler qu’un personnage ne parle pas de façon « académique » sans pour autant gêner la lecture. Ajoutez-y quelques régionalismes si besoin, et vous aurez un parfum de terroir dans vos dialogues.

Les accents

« – Foulez-fous fenir rie Daidboud ?… dit-il.

– Où vous voudrez, monsieur, répondit Esther en se levant.

– I vis fudrez ! répéta-t-il avec ravissement. Fus êdes ein anche tescentû ti ciel, et que ch’aime comme si ch’édais ein bedide cheune ôme quoique ch’aie tes gefeux cris… »

À combien l’amour revient aux vieillards, Balzac.

 

Le baron de Nucingen a, semble-t-il, un accent à couper au couteau. Si rendre visuellement la façon de parler s’impose, la lecture en est ici rendue laborieuse.

Comment rendre les accents et un français approximatif sans trop alourdir ?

La déformation graphique est une première solution, avec le remplacement de lettres par des apostrophes, la substitution de lettres ou le déplacement de mots dans une phrase (voir Astérix chez les Bretons). L’écueil de cette méthode, c’est de tomber dans l’excès et de rendre ses personnages ridicules.

La Belgique et le Québec, entre autres, ne parlent absolument pas un français approximatif, mais leurs versions de la langue diffèrent de celle utilisée en France métropolitaine. Cependant, marquer cette différence par des « une fois » ou des « tabernacles » toutes les deux phrases est probablement la pire des solutions, puisque ce serait juste une marque de condescendance de la part de l’auteur. Dans ce cas, le mieux est encore d’inclure l’accent du personnage dans sa description.

Enfin, si l’on veut renforcer l’étrangéité d’un personnage, le forum de Cocyclic conseille d’intégrer des termes étrangers dans les répliques des personnages. Cette méthode a l’avantage de fonctionner pour presque toutes les langues. Choisissez des mots que le contexte viendra habiller pour aider à la compréhension, et comme pour toutes les méthodes exposées ci-dessus, faites preuve de mesure dans leur utilisation.

 

Une fois la rédaction achevée, pensez à faire relire vos textes par des bêta-lecteurs (lien vers article sur faire relire son texte) ou contactez les professionnels de notre réseau pro du livre, qui pourront vous accompagner.

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