Le roman épistolaire

Le 31 février 2018

Là-haut sur ma montagne

Samia, ma Samia,

Ne sois pas trop surprise de recevoir ce courrier, ce n’est que moi.

Tu le sais, j’ai fait mes adieux à la ville, cette fourmilière étouffante. J’ai aussi dû te faire mes adieux et j’en pleure encore. Tu me manques tant. Nos soirées passées à discuter à la terrasse du café d’en bas resteront des moments inoubliables. Me voilà installée, et bien avec ça, dans une petite maison rien que pour moi. L’air est pur, je n’entends que le chant des oiseaux et je m’ennuie. C’est terrible, l’ennui. Je me lève, je travaille, et après, rien. Le cinéma le plus proche est à 30 km, les théâtres, n’en parlons pas, et côté restaurants… il y a un camion à pizzas une fois par semaine au village d’en bas, et elles n’ont aucun goût.

N’ayant rien de mieux à faire de mes soirées, je lis. Et c’est là que j’ai eu une idée. Je viens de terminer Dracula. Mais si, tu sais, les dents pointues, la grande cape et le teint blafard. Ce qui est fou, c’est que l’histoire est en partie racontée par des lettres et des extraits de journal intime.

Et si, toi et moi, on écrivait un recueil de lettres dans le genre ? Bien sûr, on ne raconterait pas vraiment notre vie. Mon quotidien de freelance perdue dans sa campagne et ta routine de brave fourmi restée dans la fourmilière n’aurait aucun intérêt. L’une de nous pourrait prétendre partir en croisière et raconterait à l’autre ce qu’elle voit. Cela dit, comment une lettre quitterait le bateau, en-dehors des escales ? Et puis bonjour le bilan carbone. Non, il faudrait trouver autre chose.

Que penses-tu de cette idée-là : on garde le dépaysement, mais sur le continent, et celle qui voyage critique et commente les lieux qu’elle traverse, en les comparant avec ce qui ne va pas chez nous. Oh, inutile de crier au génie, c’est Montesquieu qui a commencé, avec ses Lettres persanes. Dans un autre registre, façon leçon de morale et de piété, Rousseau a écrit Julie ou La Nouvelle Héloïse. Cependant, je ne vois pas comment on pourrait faire la morale à qui que ce soit. À moins de tout inventer, ce serait amusant.

Plus proche de notre « pureté », il y a Les Liaisons dangereuses. Je l’avais étudié au lycée, mais n’avais pas aimé la fin. Voyons si on arrive à faire mieux. Qu’en dis-tu ?

Samia, je t’imagine en train de râler : « Pourquoi par lettres ? On peut s’envoyer des mails. Ou des textos. » C’est vrai, on pourrait. Mais j’aime le fait de pouvoir garder les lettres que tu vas m’envoyer, de pouvoir toucher ce papier que ta main a noirci. Ou alors, si vraiment tu y tiens, on tente de faire un échange de messages de 140 caractères maxi. Un roman « twittostolaire ». Tu crois que quelqu’un y a déjà pensé ?

Réponds-moi vite, ma Samia, j’ai hâte de lire tes idées, toujours si géniales.

P.

 

Le roman épistolaire, très prisé au xviiie siècle, est un genre littéraire dans lequel le récit se compose de la correspondance fictive ou non d’un ou plusieurs personnages.

Sources :

• Le roman épistolaire sur la BNF,
• Le roman épistolaire, Wikipédia.
• Montesquieu, Lettres persanes, 1721
• Rousseau, Julie ou La Nouvelle Héloïse, 1761
• Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, 1782
• Bram Stocker, Dracula, [1897] 1920, L’Édition française illustrée, traduction Ève Paul-Margueritte et Lucie Paul-Margueritte

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