Des styles qui font mouche

Certains auteurs sortent du lot, c’est indéniable. Mais pourquoi ?
Comment expliquer qu’ils connaissent un immense succès quand d’autres ne parviennent pas à se démarquer ?
Voici, après la lecture de titres d’Amélie Nothomb, Guillaume Musso et Marc Levy, quelques axes de réflexions sur la structure du texte, les personnages principaux, les lieux de récit. Attention, ces remarques ne portent que sur les titres mentionnés plus bas et ne sauraient réduire le travail de ces auteurs à ces quelques livres.

Amélie Nothomb

Depuis Hygiène de l’assassin en 1992, elle a publié de nombreux ouvrages, certains traduits, dont Stupeur et tremblements, prix de l’Académie française.
Ce qui se remarque d’abord, c’est la brièveté de ses écrits. Certes, la mise en page peut jouer un rôle crucial dans la longueur d’un livre, mais un texte finalisé de 160 pages n’en fera jamais 400, même si on opte pour un corps bien plus gros.
La philosophie d’écriture de Nothomb pourrait être résumée à une phrase de Stupeur et tremblements. L’autrice y explique que, puisque sa vie en dehors de l’entreprise n’est pas l’objet du livre, il n’en sera pas fait mention. Elle centre son récit sur un élément et exclut le reste.
Son vocabulaire est d’une précision redoutable, il n’y a pas un mot de trop, ce qui impose également l’emploi de termes très précis, inhabituels et surprenants.
Il en va de même pour le reste. Ne sont présents que le ou les personnes concernées par le récit, les lieux propres à l’intrigue, décrits dans la mesure où c’est nécessaire, et uniquement pour le temps que dure l’histoire (1 an, 24h, 2 semaines…).
Amélie Nothomb pratique l’écriture de précision, ce qui donne des livres au contenu dense qui se lisent vite.

Marc Levy

Auteur français au succès international, Marc Levy publie depuis 2000. Il a été traduit dans de nombreuses langues, preuve que sa façon d’écrire est assez universelle pour être appréciée ailleurs.
Il lui a été reproché d’écrire pour le tout venant, de n’avoir que 150 mots de vocabulaire, bref, de faire de la littérature au rabais. Et alors ? Le fait est que ses livres se vendent très bien, n’en déplaise aux grincheux.
Nous avons ici affaire à des textes plutôt conséquents – de 280 à 600 pages dans les versions poches.
Chez Levy, tout est vaste.
Pour les personnages principaux, s’il y en a un majeur, il est accompagné d’un ou plusieurs rôles secondaires sans qui l’histoire n’existerait pas.
En ce qui concerne les lieux du récit, c’est en réalité plutôt simple puisque l’auteur se limite au monde entier. Si l’exercice est, à première vue, périlleux, Levy livre des textes très bien documentés sur le plan géographique, ce qui suppose un travail de recherche poussé.
Les textes sont très détaillés. Si le personnage principal s’habille, nous aurons la chance de savoir comment, et ce jusqu’à la couleur de ses chaussettes. Les dialogues et les descriptions sont nombreux, avec là encore beaucoup de détails. Le lecteur impatient peut, sans craindre de rater le tournant de l’intrigue, s’abstenir de lire certains paragraphes.
Quant aux intrigues, justement, il faut reconnaître qu’elles sont très bien faites. L’histoire se déroule sans anicroches, et l’auteur nous emmène de la première à la dernière page sans nous lasser.

Guillaume Musso

Là aussi, il s’agit d’un auteur reconnu mondialement et traduit et primé, qui publie depuis 2001.
Comme pour Marc Levy, ses textes sont plutôt longs, entre 300 et 400 pages dans les grands formats, et comme pour Marc Levy, on lui reproche parfois d’écrire des romans « faciles ».
Les livres de Musso entrent sans difficulté dans la catégorie des page turner : une fois lancé, il est bien difficile pour le lecteur de s’arrêter (oui, mais il faudrait aller dormir, là).
Les textes sont simples et bien écrits, sans effets de manches visant à époustoufler le lecteur. Certains accepteront ces livres pour ce qu’ils sont, des divertissements, quand d’autres y verront un manque d’ambition littéraire.
Les intrigues, irréprochables, tendent à suivre un personnage principal tout en s’autorisant quelques digressions qui viennent nourrir le fil principal. A priori, il ne fait pas toujours bon être le héros d’un des livres de Musso. La survie à l’histoire n’est pas garantie, ou en tout cas, pas dans le meilleur état.
Là encore, l’auteur créé un univers entier autour de son héros et ne laisse rien au hasard. Un lecteur pourrait presque, si l’envie lui en prenait, dessiner les livres, son imagination ne serait nécessaire que pour les traits des personnages, toujours sujets à interprétation.
Musso a la capacité d’écrire des histoires prenantes, parfois touchantes, qui vont captiver le lecteur, ce qui constitue une de ses forces.

Un point commun à noter entre Musso et Levy, c’est l’ancrage international de leurs livres. Voilà une piste qui pourrait expliquer leur succès : des auteurs en français qui écrivent des histoires dans des lieux non-francophones, ou reliés au reste du monde, et aux textes faciles d’accès.

Ces trois auteurs touchent un large public, mais leur démarche n’est pas la même. On pourrait reprocher à Musso et Levy d’« infantiliser » leurs lecteurs à travers des récits où l’imagination n’est pas sollicitée, mais c’est peut-être aussi leur but : proposer un divertissement qui n’appelle ni réflexion ni analyse le temps d’une lecture.
Musso paraît plus impliqué dans ses textes, pour un résultat plus chaleureux que chez Levy.
Nothomb, de son côté, délivre un récit centré que le lecteur doit investir. La lecture en est plaisante, mais pas aussi reposante.
C’est à chaque lecteur de se demander ce qu’il cherche dans un livre et, après quelques essais, il trouvera « sa pantoufle de vair ».

Ouvrages, source de ces réflexions :

Nothomb :
Stupeur et tremblements, Albin Michel, 1999.
Le Crime du comte Neville, Albin Michel, 2015.
Soif, Albin Michel, 2019.

Levy :
Où es-tu ?, Robert Laffont, 2001.
Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites, Robert Laffont, 2008.

Musso :
L’instant présent, XO Éditions, 2015.
La Vie secrète des écrivains, Calmann-Lévy, 2019.

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